Plus tout à fait l’aube, pas encore la guerre

Je me souviens des dégoûts qu’on avait, à la sortie de l’enfance, de tous ces grands sans lueur ni rêve qui nous assommaient d’interdits. On les trouvait d’un fade sans nom, on crachait sur leur vie sans saveur et on jurait, avachis dans une piaule à fumer nos premières cigarettes que jamais, jamais nous ne deviendrions comme eux.

Et puis un soir pas si éloigné de cet initial moment, on le rencontre, lui. Il a le goût des discussions tardives et le verbe joli, la mâchoire carrée et le regard malicieux. Petit à petit, vous constatez que son corps chaud calme vos tristesses, que ses yeux rieurs lèvent toutes vos peurs. Vous achetez des billets d’avion par deux, et son prénom résonne plus souvent que le vôtre. Il est votre ventre et vous pareil, vous essayez de vous souvenir comment c’était, la vie avant, mais tout devient flou, pas te connaître comment c’était ? Impossible de savoir.

L’autre soir, j’avais ces deux mini êtres humains dans mes bras pour lire une histoire. Leurs cheveux savonnés m’enveloppaient d’un calme rassurant et j’ai soudainement compris toutes ces histoires de mob et de sorties jusqu’à 23h. J’ai ressenti l’histoire de Théo 7 ans qui s’approchait de ma sœur et de mon père rendu fou, j’ai compris les interdictions de deux roues sinon-c-est-bien-simple-je-te-dépèce-moi-même, des cris des mères à qui on arrache les petits et du nid à construire, le plus doux possible, le plus droit qu’on puisse faire. J’ai commencé à anticiper toutes ces nuits qu’on passerait peut-être un jour, à s’en vouloir d’avoir foiré, été imprécis, brouillons et pas bons. Je me suis demandé comment je ferai, plus tard, pour ne pas pleurer d’émotion à chaque fois que je les verrai.

“Ton trip serait l’écriture, ton bruit celui de la musique. A fond, on l’aura compris : autrement on entend rien de la vie.” – Caryl Ferey