Feu, brûle ; banane, fais des bulles

Un nom de ville impossible. Deux versions suivant l’époque, des h partout, aspirés et soufflés, des r qu’on roule tout doucement, dans le fond de la gorge et sans dureté, des r à gargarismes qui dodelinent du haut du crâne, la poussière au sol, les vaches sur le sable, un deux cent cinquantième temple derrière le banian et des éléphants sur mon dessus de lit. Pas d’eau, pas d’électricité avant le soir, l’Indien à l’accueil qui fixait ses prix suivant la couleur du papillon qui passait, la Kingfisher qu’il fallait se siffler en cachette des flics à têtes blondes qui ne respectent rien et le wifi pas protégé pas mot-de-passé pas éloigné, que je captais encore quatre bars plus bas.

Sur la balancelle qui ne balançait plus, au verso de l’instant présent où j’étais seule en Inde et je me demandais bien ce que je fichais là, j’ai découvert un bouquin dans lequel était écrit ça : « Feu, brûle ; banane, fais des bulles ». Ça s’appelait Le dieu des Petits Riens et c’était captivant, le mot est faible. Sa question « qui aimer, comment et jusqu’à quel point » a tourné longtemps dans ma tête, pendant que je cherchais autour de moi des petits êtres que j’aurais pu assimiler à ces héros d’à peine un mètre, Estha et Rahel (huit ans), même si ça faisait encore des h à n’en plus pouvoir, je cherchais à comprendre un bout de ce pays, et ça passait forcément par les gens qui m’entouraient à ce moment-là. Mais la vérité c’est que j’en entravais pas une, tous avaient les pieds poussiéreux et le torse nu, un regard noir noir noir dans lequel je ne lisais rien, j’avais beau me dire que si je comprenais les sentiments décrits dans le livre, écrit par une vraie Indienne qui savait forcément de quoi elle parlait, y’avait pas de raison que je ne comprenne pas ce qui se tramait autour de moi ; mais non, je suis restée à la lisière de ce voyage parce que je concevais l’ensemble, je le lisais et le retenais, mais je butais contre ses sous-éléments. En allant chercher sur Amazon le nom exact de l’auteure (Arundhati Roy), je tombe sur l’une de ses phrases : « Tout ce qu’on peut dire de l’Inde est vrai, on y voit les choses plus clairement parce que c’est le chaos ». Ce soir-là, dans ce village de bord de mer qui restera lié à cette lecture, la masse s’imposait pourtant à moi, compacte, elle était immense et impénétrable. Je ne voyais rien clairement, la seule chose qui clignotait, c’était le voyant rouge qui indiquait que l’électricité était revenue.